Un photographe ouvrier saisonnier à la sucrerie de Brienon
1980,
je viens de me planter avec un reportage photos invendues pour lequel
j'avais engagé temps, argent, et famille. Assumer un loyer parisien
devient difficile. La proposition parentale d'un logement modeste et
modique nous fait échouer à Laroche Migennes. Il me faut me résoudre à
perdre ma vie à la gagner. La saison de la campagne sucrière va débuter
en septembre pour une durée de 3 mois : l'aubaine. En effet en ces
temps reculés de la fin du XXe siècle, les travailleurs salariés
bénéficient d'une année d'indemnités de chômage après 3 mois de
travail. Je pourrais donc ensuite me consacrer plus facilement à ma
destinée imagée.
Toujours reporter pigiste, je demande au directeur de
la sucrerie, M. Albert Ballan, l'autorisation de photographier la
campagne sucrière ici à Brienon pour le compte de "Viva la compagnie
des Reporters". Autorisation accordée à la condition de ne
photographier qu'en dehors de mes heures de travail. La sucrerie
produit du sucre 24h sur 24h ce qui impose de faire des rotations
d'équipes toutes les 8h. Une semaine en poste de 13h à 21h la suivante
de 21h à 5h, la troisième de 5h à 13h. Participer à la production du
sucre pour bonbons, caramels, pâtisseries et autres plaisirs du palais
est un boulot somme toute assez noble pour le gourmand que je suis.
Semaines
après semaines le parisien tête de chien se fait accepter par ses
collègues de labeurs comme parigot tête de photographe. Je tente avec
leur complicité d'écrire avec la lumière, une réalité besogneuse qui
transpire dans la ville et la campagne environnantes. La force de
caractère de ces hommes m'impressionne autant que ma pellicule. Avec
mon Leica R3 muni d'un 28mm, 50mm, 90mm et 180mm, de pellicules
positives couleur Agfachrome et Ektachrome de sensibilités 100 à 400
iso, au milieu du bruit, du froid, de la chaleur, de l'humidité, du
manque de lumière, je "portraitise" plus que je saisis sur le vif. 80
photos sont sélectionnées par La Compagnie des Reporters parmi les
quelque 200 diapos faites. Elles ont illustré des articles dans
plusieurs magazines, en France, Suisse, Espagne. En voici quelques unes accompagnées de citations autour du labeur.
Neil Jamon alias jean.Milon
Les travailleurs manuels sont licenciés en doigts.
Bruno Masure
Le Travail n'épouvante que les âmes faibles.
Louis XIV
Appétit : instinct délibérément implanté par la providence
afin de servir la mûse du travail.
Ambroise Bierce
Le travail éloigne de nous trois grands maux :
l'ennui, le vice et le besoin.
Voltaire
Le propre du travail, c'est d'être forcé.
Alain
Avoir de l'autorité sur autrui n'est rien d'autre
que d'exploiter son travail.
Léon Battista Alberti
L'oisiveté est, dit-on, la mère de tous les vices,
mais l'excès de travail est le père de toutes les soumissions.
Albert Jacquard
La vie n'est pas le travail : travailler sans cesse rend fou.
Charles de Gaulle
Tout salaire mérite travail.
Yvon Gattaz
Nous devons prendre conscience que le travail ne constitue plus,
désormais, l'essentiel d'une vie.
Jacques Chirac
Le travail est si bien divisé que l'un travaille et que l'autre récolte.
Laza del Vasto
Travailler plus pour gagner plus.
Nicolas Sarkozy
L'artiste qui renonce à une heure de travail
pour une heure de causerie avec un ami sait qu'il sacrifie une réalité
pour quelque chose qui n'existe pas.
Marcel Proust
Le premier des droits de l'homme c'est la liberté individuelle,
la liberté de la propriété, la liberté de la pensée, la liberté du travail.
Jean Jaurès
J'aime le travail : il me fascine.
Je peux rester des heures à le regarder.
Jérôme K. Jérôme
Le domaine de la liberté commence là
où s'arrête le travail déterminé par la nécessité.
Karl Marx
Les machines semblent avoir été inventées
pour nous éviter les fatigues, mais tous les travailleurs
travaillent beaucoup plus depuis qu'ils s'en servent.
Jean Paulhan
Partout où l'homme apporte son travail,
il laisse aussi quelque chose de son coeur.
Henryk Sienkiewicz
Le progrès existe, c'est certain. L'américain moyen paie maintenant
en impôts deux fois ce qu'il avait avant en guise de salaire.
Henri Louis Mencken
Tout métier qui ne fait pas oublier le travail est un esclavage.
Henri Jeanson
Après le salaire minimum, pourquoi ne pas instituer
une rémunération maximum.
Jean-François Kahn
Le travail est l'activité vitale propre au travailleur,
l'expression personnelle de sa vie.
Emmanuel Kant
Si le travail c'est l'opium du peuple,
alors je ne veux pas finir drogué.
Boris Vian
L'automatisation : système simplifiant tellement le travail
qu'on finira par avoir besoin d'un cerveau électronique
pour se tourner les pouces.
Noctuel
Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles,
aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ?
Michel Foucault
Le travail du corps délivre des peines de l'esprit
et c'est ce qui rend les pauvres heureux.
François de La Rochefoucault
L'effort humain n'a pas de savoir-vivre,
l'effort humain n'a pas l'âge de raison,
l'effort humain a l'age des casernes,
l'âge des bagnes et des prisons,
l'âge des églises et des usines,
l'âge des canons.
Jacques Prévert
Dans la construction d'un pays,
ce ne sont pas les travailleurs manuels qui manquent,
mais bien les idéalistes et les planificateurs.
Sun Yat-Sen
En général, on donne plus facilement l'aumône à un misérable
qu'un salaire honorable aux travailleurs.
Lajos Kassàk
Le travail c'est la santé...
Mais à quoi sert alors la médecine du travail.
Pierre Dac
Ce n'est pas le travail qui est la liberté :
c'est l'argent qu'il procure, hélas !
Gilbert Cesbron
Le travail d'équipe est essentiel. En cas d'erreur,
ça permet d'accuser quelqu'un d'autre.
Bernard Menez
Le travail est la plaie des classes qui boivent.
Oscar Wilde
La vie fleurit par le travail.
Arthur Rimbaud
Le monde occidental est passé en quelques années de
l'exploitation du travail à l'exploitation intensive du capital.
Peter Drucker
La France ne s'en sortira pas en alignant
ses salaires sur ceux des pays émergents.
Ségolène Royal
J'ai toujours pensé que les salaires devaient s'établir
en raison inverse de l'intérêt que l'on prend à son travail.
Françoise Giroud
A mon avis, vous ne pouvez pas dire
que vous avez vu quelque chose à fond
si vous n'en avez pas pris une photo.
Emile Zola
"Imagines-tu,
si il m'arrivait de comprendre ces dégoûts... pas les éliminer : les
comprendre... je pourrais alors aller travailler avec les autres sans
devoir récapituler tous les matins les raisons qui m'obligent à me
lever, sans cette oppression dans l'abdomen".
C'était à chaque
fois comme-ça. Quand le printemps soufflait, on ne sait pourquoi une
brise émouvante, et qu'il passait devant la sucrerie de Brienon
rejoignant sa soirée, le premier jour d'un de ses CDD : "Sentir à
nouveau comment mon corps va avec mes contemporains... et quand je dis
"va avec"... c'est plus : comment ça travaille ensemble ??... ou non
tiens ! Plutôt quels travails... euh ! Travaux ! ... non non, ça ne va
pas de mettre trav-aux, c'est quels trav-ails qu'il faut... chacun le
sien... sentir le travail et quels travails permettent d'être
ensemble... enfin ! "d'être" ?... de former de l'ensemble... plus cool
de mettre "former", quand même... sentir comment le travail nous forme
les uns avec les autres... sentir comment ça forme un gros mot tout ça
: la-SO-ciété... Tout ça c'est mon identité... mon identité de
maintenant...".
Au bistrot à côté de la sucrerie, il ne parvenait pas à
s'arrêter.
Je pourrais circuler non enrôlé. Non enrôlé par cette
putain d'idée de résolution technique des problèmes qui viennent
toujours et toujours, et viendront pour toujours continuer à venir...
Je
pourrais peut-être même trouver un travail qui permettra à mon corps
comme à d'autres de changer de désir. Un désir de changement ! A ne
plus pouvoir être là ! Là où la valeur du travail se réduit à la
quantité de joules que les corps dépensent et dispensent contre toute
sorte de rémunérations... Et être là enfin où l'amour jouit les
corps pour le travail effectué et a plus seulement à les consoler de
leurs meurtrissures boulotiques. Si je sais tout ça...
De retour
de la sucrerie sa soirée commencée, le corps sur le canapé, d'un trait
comme une eau qui coule sans s'arrêter il se disait : "Qui peut croire
que la vie, entre naissance et mort, ait à se représenter d'abord comme
une éducation au travail sans souci de ce qu'il est et de ce qu'il doit
être ; puis comme passage dans le travail lui-même, toujours sans souci
de ce qu'il est et de ce qu'il doit être ; suivi d'une période où le
travail se retire et laisse le champ libre, la retraite, si toutefois
des habitudes, des tournures de vie difficiles à se départir n'ont pas
imprimé les corps, si toutefois l'amputation du travail et l'absence du
souci de sa présence ne donnent pas la mystérieuse douleur du membre
fantôme qui ne se soigne que par les frénésies du loisir ou de l'ennui
(toujours sans le souci de ce qu'il est et de ce qu'il doit être, ce
travail) ; et en arriver enfin à la mort, pas même en touriste, mais en
client... Pour vivre comme ça ne faut-il pas croire à la justesse de
"ça" ? Sinon pourquoi vivre comme "ça" ? Sinon pourquoi, si la vie est
comme "ça", ne pas se mettre en branle pour changer "ça" ? L'amour est
là, qui apaise et console. Qui apaise et contrôle."
"Bosse et baise !" non !
"travaille et aime !
Ankylosé
encore de sa journée, le corps devait se mettre à son travail... un
travail que personne ne lui avait donné... c'était au moment de
l'apéro... ou en préparant un "petit frichti"... comme pour y voir
clair enfin... casser minutieusement ce qui se formait dans sa tête
tout en le laissant se former quand même... une navigation en plein
brouillard... tant pis !... critiquer quand même radicalement sa
conscience en la laissant souveraine... souveraine d'elle même... ne
rien oublier aussi... comment procéder ? C'est par ce genre de travail
qu'il semblait arriver au monde : ce "peut-être ben que me voilà" à la
place du "je suis"...
Et le boulot trahissait le travail...
L'immense immensité ne se calmait que par l'imagination.
Philippe Vaernewÿck